Promontoires du Silence - Didier Goupy

Au cours des rencontres internationales de la photographie 2022 et en participation avec le festival des voix off, nous avons eu le plaisir d’exposer les clichés du photographe, Didier Goupy.

Nous avons également fait la première de son livre “Promontoires du Silence” préfacé par Charlotte Rampling, maintenant disponible aux éditions Ipagine.

https://www.didiergoupy.com/

“Ce que nous avons échangé, nous l’avons partagé et ressenti comme dans une amitié clandestine à l’aube de l’immobilité du confinement. Le silence nous encerclait. Nous nous sommes parlés, nous ne nous sommes pas vus. Le silence, qui est essentiel à chaque geste créatif vous échappait, jusqu’au moment où le monde est tombée en apnée et le silence est rentré en vous. Et vous avez commencé à regarder les arbres et inlassablement vous avez pénétré leur univers. Je ne peux pas venir plus loin avec vous. Laissons le mystère prendre soin de ce moment unique. Le silence est notre ami, notre révélateur. Votre œuvre est apparue à ce moment-là comme un témoignage de la force concentrée en vous qui cherchait à tout prix la lumière.”

Charlotte Rampling

Né en 1960, Didier Goupy fait ses toutes premières images au Maroc et les photographies qu’il réalise en Irlande 1984 et en Égypte 1985 sont immédiatement publiées dans Photo Magazine et Photo Reporter. Il s’installe à Paris en 1986, devient photographe professionnel et entame une étroite collaboration avec le groupe Bayard Presse. Il intègre l’agence Sygma en 1991. C’est en Inde – où il fera plusieurs voyages entre 1993 et 2001 – que se révèle sa passion pour le portrait et la couleur, fondement de son travail de photographe. Ses portraits sont diffusés par la maison de photographes Signatures.

Aujourd’hui, Didier Goupy poursuit son travail sur l’espace dans une relation étroite à la peinture. Très sensible aux œuvres de Mark Rothko et Pierre Bonnard, il s’attache à comprendre au travers de la série nommée Mythologies, la relation entre la figure et l’abstraction.

Les Mythologies sont un récit uchronique et utopique. Cette série de photographies est organisée hors tout agenda et tout territoire. Il s’y fait cas, plus que de ma seule histoire : de la nôtre. C’est un récit articulé en 4 chapitres comme d’un livre ; mais aussi comme de ces lieux retirés où ceux qui, y « ayant voix », choisissent de se rassembler pour échanger. Et ensuite, peut-être, pour agir au-delà : hors les murs de leur cloître.

Portrait d’une forêt

Sombre, bouchée, hostile, la forêt est impénétrable. Vous pensiez la connaître, mais quelque chose ici inquiète, fascine aussi, la densité des arbres peut-être, le fouillis des ronces, un excès qui pourrait décourager, ou alors cette étrange obscurité, irréelle, angoissante.
Le photographe s’enfonce dans la forêt, la respire, laissant remonter en lui des sensations de l’enfance. Jour après jour il interroge la puissance de ce qui se joue là, rend compte par l’image des vibrations enfouies. Tout a commencé dans la forêt de Retz, du côté de Villers- Cotterêts, s’est poursuivi à Fontainebleau, puis Valence en Espagne. Pourtant Didier Goupy n’a rien à dire sur la forêt, pas plus que sur un visage, une silhouette, un mouvement, pas moins non plus. Son projet n’a jamais été d’en répertorier les différences mais, pour un temps, de faire l’expérience magnifique des variations du vivant, de questionner la réalité, de vérifier sa propre place dans le concert bouleversant du monde. La forêt est devenue un personnage aux visages multiples, changeant. Comme toujours dans son travail, Didier Goupy s’installe dans son sujet, l’habite, l’interroge longuement, pour en saisir l’unité. Sa quête est au-delà de la technique.

Le photographe emprunte aux maîtres orientaux une discipline qui tend à «mettre le mental en contact avec la réalité ultime », recherche « un art sans artifice ». Cette expérience vertigineuse toujours recommencée devient chez lui, au fil des décennies, de plus en plus exigeante, radicale. Plus que jamais le corps tout entier est engagé dans l’acte de photographier. Le souffle régule le déclenchement de la prise de vue, c’est à cette condition d’absolue justesse que le mental se met au diapason de l’inconscient. Les Japonais appellent ce moment le satori, qui veut dire intuition, saisissant à la fois la totalité et l’individualité des choses.

Dans la forêt, Didier Goupy compose avec la graphie des arbres, les ombres colorées de verts profonds et de roses, fait remonter de la terre mouillée des bruns et des ocres, scintiller les reflets pointillistes des feuilles aux reflets d’or. De plus en plus l’image tend vers l’abstraction, gomme la frontière entre photographie et peinture, ouvrant ainsi des champs de liberté à l’interprétation. Une lumière rasante, et les arbres deviennent une armée en marche. Des reflets sur une branche tombée, c’est un animal qui surgit. Réelle ou inventée, la forêt parle à chacun d’entre nous. Tout à la fois refuge contre les dangers et lieu des peurs ancestrales, des sombres terreurs, elle génère des histoires fantastiques.

Au fil des saisons, des verts éclatants dilatent l’espace, des trouées de ciel bleu déclinées s’installent en une infinité de registres colorés. Les tapis d’herbes sèches, les mousses, sont autant de matières inscrites dans nos mémoires. Il faut se promener longuement dans les images de Didier Goupy, s’attarder, y revenir, la question du temps depuis toujours est en jeu dans son travail. Inlassablement il confronte la pensée des philosophes, explore le difficile chemin de l’oubli de soi, « ne pas laisser la pensée s’interposer entre soi et le geste ». Temps suspendu, temps d’éternité, c’est à cette condition que l’œuvre peut advenir.

Marie Françoise Le Saux

Historienne de L’art

Août 2021

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